Saleté de vie

Je me lave encore les mains. Ce faisant, je souille le pourtour du lavabo que je dois laver, avant de me savonner pour une huitième fois. Mais en rinçant mes doigts, je salis de nouveau le lavabo, et je dois tout répéter.

Une odeur de pourriture flotte dans l’air. Je constate à quel point la cuisine est sale. À l’angle du comptoir et du mur, un sillon humide accueille toute une colonie de bactéries. De vieilles éclaboussures rampent sur les murs. Sur la plancher graisseux, une couche de poussière grise adhère comme sur du beurre périmé. Au plafond, qui a déjà été blanc, je distingue maintenant une masse gluante d’origine organique. Je n’ose plus rien toucher ni même me laver, puisque le savon, observé de près, est écoeurant.

Je vais m’asseoir sur le balcon. Des vêtements défraîchis sèchent sur les cordes à linge, fourmillant de microbes qui chient entre les fibres. Un homme lave sa voiture rouillée en l’aspergeant d’une eau brunâtre. Deux tourterelles tristes nettoient leur plumes. À travers une fenêtre, je distingue le voisin qui essuie une assiette (qu’il va salir dans quelques minutes), tandis que sa femme se bat contre un tapis élimé. Pourquoi tant lutter? Je regarde la ruelle encombrée d’ordures, les coulisses sur les murs, les fenêtres termines par l’eau corrompue de la dernière pluie. Près d’un pigeon écrasé, sur l’asphalte, un chat lèche vainement ses taches.

Même le ciel est répugnant, zébré de fumée, teinté de smog, et parcouru par des taches brunes – celles de mes yeux. Jamais je ne pourrai les chasser de mes pupilles. Lorsque j’observe une surface unie, je ne vois plus que ces taches qui dansent devant moi. Tout ce que je regarde est ainsi contaminé; je pollue constamment le monde, même les nuages, en le regardant.