Le dernier mot

Ça commence par un mot. Je le barre et la phrase s’améliore aussitôt. L’adjectif que je viens de biffer était superflu et sa disparition, ajoutée à une autre rature — un adverbe gras qui dépassait maladroitement — allègent vite la phrase. Mon stylo raye ainsi une vingtaine de mots et le paragraphe se vivifie comme par magie. Quel soulagement!

Ensuite, deux phrases passent sous le bistouri. Elles étaient de trop, tout comme le paragraphe suivant, puis les deux suivants encore. Je trace un X par paragraphe pour aller plus vite. Les paragraphes restants brillent instantanément sans les mots qui, tout autour, les diluaient. Et ce chapitre? Est-il requis? On appréciera mieux les autres sans lui. On  pourra lire entre les lignes et l’imaginaire enrichira le mystère ainsi dégagé. À chaque suppression, j’ai la certitude absolue que mon roman — bientôt ma nouvelle — gagne en pureté.

Tout est maintenant limpide : il faut se concentrer sur l’essentiel, le noyau.

Tous les chapitres que j’écarte alors améliorent ceux qui restent, de plus en plus minces, de moins en moins bruyants. Et ces derniers ne font-ils pas que préparer le dernier chapitre, les trois derniers paragraphes qui comptent le plus, qui comptent vraiment?

Dans celui-ci, seuls quelques mots sont nécessaires. Pourquoi en rajouter d’autres?

Puis je me demande : sont-ils si nécessaires? Et si je supprimais tout? Plus aucun mot, juste du blanc : peut-on battre une telle perfection, une plénitude si absolue? Après ces millions d’auteurs, ces infinités de livres déjà écrits, ces ravages de phrases interminables, on n’y ajoutera pas de la lourdeur. On ne répètera pas des mots trop souvent répétés.

Et l’auteur du texte supprimé, moi, est-il aussi de trop? Ajoute-t-il de la lourdeur?

La question est posée. Ma disparition améliorera-t-elle l’ensemble?