La bonne action

Je suis un chômeur, les chômeurs sont toujours en vacances, donc je suis en vacances. Mon balcon offre une perspective somptueuse sur la vie de la ruelle: le soleil miroite sur les feuilles de l’érable argenté dans la cour du voisin; des chats reniflent les sacs d’ordures; des avions parcourent le ciel, chargés de touristes allant vers des contrées exotiques tandis qu’ici-bas, parfois, un chômeur passe à vélo à la recherche de bouteilles vides dans l’espoir d’en acheter une pleine. Des vacances perpétuelles: ma vie est sans doute une période de repos entre deux vies de labeur et de souffrance. Le défi consiste à savoir jouir de cette longue plage de liberté. Ce qui est plus difficile qu’on le pense.

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Nuit de la poésie

Soudain, me voila englué dans une obscurité opaque comme du goudron. Les calorifères et les transformateurs se sont asphyxiés, le compresseur du frigo a toussé une dernière fois, l’horloge au quartz est paralysée. Tous les appareils se sont étouffés, faute de courant, juste au moment où l’hélicoptère de John Steel – super héros du canal 11 – volait vers d’infâmes terroristes. Il ne reste qu’un silence énervant, sans le grésillement familier du flux électrique réchauffant les murs.

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L’œil

Non. Je ne voulais surtout pas voir Dieu. La mystique, c’est pour les saints, les moines et les psychotiques. Pas pour les tarés de mon espèce. Mon destin serait plutôt de piétiner les sentiers battus et rebattus, ingurgiter de l’imaginaire industriel et dissiper mes dollars en produits de consommation.

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Entrevue d’embauche

– Ici Robert Martin, me dit la voix à l’autre bout du fil. Je suis ton agent de réinsertion sociale et de soutien à l’employabilité.

Je tentai de chasser au plus vite la brume du sommeil. Par la fenêtre, on voyait une chose orange qui flottait à côté du dépotoir. Sans doute était-ce le soleil qui allait se coucher d’une minute à l’autre dans les ordures. Il était 16h15, le magnétoscope précisait la date du 3 janvier, le thermomètre devait encore stagner dans les –15 et mon quotient intellectuel ne devait pas dépasser 70.

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Je me meurs

Le Martien, furieux, s’arrache trois yeux (sur huit) et les jette à la figure de l’infirmière. L’écume aux lèvres (bleues), il hurle qu’il va faire un saccage si on ne lui injecte pas illico une dose de morphine. Deux hommes (de Néanderthal) approchent: les gardiens. Avec force grognements, ils saisissent le Martien subitement affolé et l’emmènent dans une autre pièce. Pendant quelques secondes, son hurlement inhumain traverse les minces cloisons jusqu’à nous, puis s’interrompt dans une sorte d’étranglement.

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Zoothérapie

À l’époque, je traînais souvent à l’animalerie. Il y avait là un singe dont j’ignore encore le nom d’espèce et que je nommerais, pour compenser, Jean Beaupré. Ce singe de taille moyenne dans une cage trop petite exhibait un pénis démesuré, toujours en érection, se terminant en forme évasée comme une trompette. Excité, Jean Beaupré tournait sans cesse en rond, ne sachant que faire ni de son sexe, ni de cette pression nerveuse dont il ignorait sans doute autant l’origine que la solution. Il lâchait parfois un cri strident qui semblait un appel de détresse.

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Saleté de vie

Je me lave encore les mains. Ce faisant, je souille le pourtour du lavabo que je dois laver, avant de me savonner pour une huitième fois. Mais en rinçant mes doigts, je salis de nouveau le lavabo, et je dois tout répéter.

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L’art de la réussite

J’en ai rêvé toute la nuit. Mon père me regardait avec dégoût et disait: «Ce que tu peux être minable!». Puis il jetait un livre à mes pieds et me conseillait de faire au moins quelques efforts pour donner le change. La même scène se répétait, et se répétait, encore et encore.

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Autoportrait en mon absence

Où suis-je?

Je me suis cherché partout. Sur le lit, sur le balcon, dans les tiroirs, au fond de mes chaussures, sous le pot de mayonnaise. J’étais toujours ailleurs. Puis j’ai regardé le fauteuil et j’ai pensé : « si je m’y assois, je parviendrai à saisir ma présence ». Je me suis donc assis.

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